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Il était une fois

Il était une fois un tout petit être. Ce tout petit être avait la forme d'un minuscule oeuf, de moins d'un dixième de millimètre.

Ce petit être était le résultat de la fusion de deux âmes soeurs, deux étranges vies, elles aussi minuscules, deux vies qui savaient qu'elles devaient fusionner pour ne pas mourir. Pour elles, même si elles devaient perdre leur unicité, même si elles devaient disparaitre en tant qu'entité, il valait mieux vivre plutôt que mourir et disparaitre elles ne savaient où.

Ce petit être donc, vivait dans une mousse chaude, rouge et pulpeuse, elle était sa maison. Cette étrange bête avait la capacité à grandir et changer complètement de forme, grâce à la division de ses cellules. Cet amas de billes formait donc le petit être, au chaud dans son velours.

Au fur et à mesure que le temps passait, le petit être devenait de plus en plus gros.

Durant des semaines, des mois, le petit être grandit, se développa, toutes les pièces qui le composaient, comme un puzzle parfait, s'inventaient et s'agençaient d'elles-mêmes; ses membres se complexifiaient, se ciselaient doucement.

Le petit être se réinventait.

Un jour, un beau ou un mauvais jour, le petit être découvrit le son. Il n'avait encore jamais fait l'expérience de cet étrange phénomène, percevoir des bruit extérieurs à lui-même. Cela était comme sortir de son corps, comme être dérangé pendant la longue méditation que nécessitait le début de sa vie. Cela le dérangeait, mais le rassurait aussi, ainsi il n'était donc pas seul dans le monde, il y avait D'autres êtres qui vivaient avec lui... Tout d'un coup, il se sentait moins perdu.

Il apprit aussi à toucher, à explorer le monde avec son épiderme, sentir l'existence du monde autours de lui grâce à ses doigts qui devenaient de plus en plus habiles.

Le petit être était toujours au chaud, mais il était devenu depuis longtemps trop grand pour sa mousseline confortable, et flottait, se déplaçait en apesanteur dans un creux sombre et rassurant. Son monde était limité, mais ses oreilles lui apprenait qu'il existait d'autres choses au dehors. Il était pressé et en même temps inquiet d'achever sa métamorphose, pour découvrir cet autre monde : sa poche était si agréable, et si ailleurs c'était moins bien ?

Le petit être un matin se réveilla avec une boule dans le ventre. Son univers semblait changé, bien que toujours le même, et une insidieuse peur l'envahissait.

Le petit être ignorait que son univers était lui-même un autre être vivant, qu'il vivait réfugié dans son ventre.

L'autre être, plus grand, le grand être donc, était la maison du petit être, son univers. Ils étaient deux mais ne formaient qu'un, chacun connaissant inconsciemment les sentiments de l'autre, chacun sentant ce que faisait l'autre.

Le grand être avait peur. Il avait peur de mourir d'abord, comme tout être vivant, il redoutait la mort, car on a toujours peur de la fin et surtout de l'inconnu.

Le grand être avait peur, donc, il avait peur aussi d'être responsable du petit être, car le grand être connaissait l'existence du petit être, c'est même presque comme s'il l'avait voulu de toute ses forces. Il avait peur de faire du mal au petit être, sans le faire exprès, il avait peur non pas pour lui-même, mais pour le petit être qui vivait en lui.

Les grands grands êtres, c'est à dire les grands être du grand être, n'avaient pas confiance en lui, ne croyait pas qu'il y arriverai, car il fallait être fort, et que le grand être n'avait jamais été fort, selon les grands grands êtres. Pourtant, le grand être avait cru être capable d'assumer le petit être.

Le grand être avait très peur désormais. Il n'avait jamais vécu cela, et la peur de faire du mal au petit être le faisait atrocement souffrir.

Le petit être sentait tout cela, mais comme une aquarelle diluée aux couleurs mélangées, comme un bourdon, comme une toile de fond floue. Il ne discernait pas tous les sentiments mêlés.

Alors le petit être prit peur du monde par delà son univers. Une peur terrible et affreusement présente en lui. Une peur qui le fit se recroqueviller le plus au fond de sa poche, le plus loin possible de ce monde mauvais qui rendait triste et donnait de la douleur, alors qu'il n'avait connu que paix et calme.

Les mois s'écoulaient, et le petit être était de plus en plus gros, et bien qu'il essayait de se cacher le plus au fond de son monde, il savait qu'il allait sortir d'ici peu, il savait que l'autre monde, celui de la souffrance, le rattrapait lentement.

Le grand être avait de plus en plus peur. Sa peur à lui donnait peur au petit être, qui à nouveau donnait peur au grand être, entrainant les deux vies dans une spirale de terreur croissante.

Un jour, le petit être fut si gros qu'en bougeant, il déchira sa poche. Il sentit alors qu'il allait devenir autre, qu'il allait changer d'univers, quitter la douce chaleur et les bruits étouffés, quitter son monde, et la terreur le prit à la gorge.

Il ne voulait pas voir l'autre monde, il ne voulait pas avoir mal.

Le grand être sut que la poche était déchirée, et il sut aussi que c'était le moment pour le petit être de changer de monde. Lui aussi eut peur, peur de mourir à cause du petit être, peur que le petit être meure à cause de lui. Mais il n'eut pas peur que le petit être ait peur de changer de monde. Il n'imaginait même pas que cela put lui faire peur, il n'imaginait même pas que le petit être put avoir peur.

Le grand être fut emmené voir des êtres spécialistes dans le passage. Des passeur en blouse blanche avec un masque sur le nez et des gants en plastique.

Le grand être a eut mal pendant longtemps, durant des heures il a attendu que le petit être sorte de lui, qu'il arrête de lui faire mal. Les passeur lui donnèrent des drogues, parce qu'ils voyaient bien sa souffrance.

Le corps du grand être se tendait pour obliger le petit être à sortir, parce qu'il savait, le corps, que si le petit être ne sortait pas, ils mourraient tous les deux, et le corps ne voulait pas mourir.

Les passeurs, voyant que le petit être, de terreur, refusait de sortir, l'ont attrapé de force. Ils sont allés le chercher avec une grande pince, dans le corps du grand être. le petit être a eu très mal, car la pince le serrait trop fort, mais les passeurs n'avaient plus de patience, et il ne voulaient pas que le grand être, épuisé, meure tout d'un coup.

Le petit être fut donc sorti de son monde de force, avec violence. Le grand être l'a prit contre lui et l'a gardé un petit moment.

Le petit être a alors découvert quelque chose qu'il ne connaissait pas du tout : la capacité à s'exprimer, à montrer aux autres êtres ce que lui ressentait, et il a crié très fort, fort pour dire la douleur de la pince, la souffrance du déchirement, la peur de ce monde de tristesse.

Mais à petit être, petit cri, et même s'il était fort pour lui, les autres ne l'ont pas perçu ainsi.

 

Le petit être a gardé quelques temps un énorme bleu sur sa tempe droite, juste au-dessus de l'oeil, à cause de la pince.

Le petit être garde encore sa peur de ce monde et le regret de son ancien univers.

Le petit être aime toujours les endroits petits, rouges sombres et chaud.

Le petit être a découvert la souffrance.

 

 

Le petit être, c'est moi.

Darck Crystale | 11/11/2009
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