La jeune fille est assise sur sa chaise. Les coudes posés sur la table, les jambes croisées, elle réfléchit. La tête posée au creux des mains, le regard perdu, elle pense. Le vide autours d'elle ne la dérange pas. Bien que la salle d'étude soit pleine, de bruits, de voix, de musique, elle est prise dans une solitude blanche, glacée comme la mort. Elle n'entend rien, ne voit rien, navire dans la tempête, elle tangue sur les vagues qui l'atteignent. Elle ne coule pas, revient toujours, mais avec une amertume de plus en plus prononcée. Elle voudrait être seule, tous ces éléments l'agressent et l'empêchent de songer à ses problèmes. Elle secoue la tête, agacée, se passe les doigts dans les cheveux, change de position et s'appuie sur le dossier de sa chaise. Elle se replonge dans ses pensées avec difficulté. Chaque minute qui s'écoule lui paraît être une éternité, un instant, court et long à la fois, elle perd la notion du temps en perdant pied dans ses rêves.

La jeune fille assise sur sa chaise à l'air de se noyer, la bouche ouverte, elle a du mal à respirer. Les larmes, retenues derrière les digues de l'indifférence feinte, se bloquent dans sa gorge, et le niveau monte, monte, monte... Le regard vague, le vague à l'âme, elle pense. Elle a des espoirs plein la tête, et des désespoirs plein la vie, des choses noires comme la nuit, qui l'envahissent dans sa mélancolie. Elle a à peine dix-sept ans, on lui en donne quinze, mais elle en paraît soixante, épuisée de sa vie, elle se repose, peut-être...

La jeune fille est assise sur sa chaise. Les jambes étendues et les écouteurs aux oreilles, elle pleure en silence. Elle se sent mal dans elle, elle ne s'explique pas ce malaise, et elle pleure au dedans. Ses sanglots invisibles se dissolvent dans l'euphorie générale, dans l'indifférence, dans l'incompréhension et l'impatience de ceux qui l'entourent. Elle n'en peut soudain plus de cette solitude, de ce vide autours d'elle. Elle cherche à le meubler, elle sort un cahier et un crayon, regarde l'heure. Elle veut que le temps s'arrête ou accélère, le bruit lui remplit la tête...

La jeune fille assise sur sa chaise lève la tête quand elle entend la porte s'ouvrir, mais elle est déjà repartie dans son monde. Son escale fut de courte durée, et elle en est contente et triste à la fois. Le bruit la gène moins déjà. On lui attrape l'épaule et on l'interroge. Veut-elle jouer aux cartes ? A-t-elle fini le DM de mathématiques ? Les voix s'adressent à elle et la sortent de son brouillard cotonneux. Elle tente de répondre à tous à la fois, commence de nouvelles conversations. Elle remplit son vide grâce à eux, à cause d'eux.

La jeune fille est assise sur sa chaise. La tête en avant, le ventre appuyé sur le bord de la table, elle revit. Elle se sent mieux, un peu. Tous ceux qui lui parlent l'occupent de ses idées noires. Elle attrape ses cartes et joue. Le silence se fait à la table, rythmé par des réflexions stupides. Alors elle, elle n'a plus de mots auxquels se raccrocher, elle repart doucement, elle joue automatiquement, revient brusquement en s'en va de nouveau. Elle n'en peut plus. Les autres la regarde. Va-t-elle se décider à jouer ? Se sent-elle bien ? Quel est son problème ?

La jeune fille assise sur sa chaise se rend compte qu'elle ne peut pas s'exprimer. Les mots sont trop impuissants pour expliquer ce qu'elle ressent. Tout ça, elle ne peut pas le dire, elle ne veut pas perdre les autres en essayant de leur montrer. Alors elle dit non, ça va, elle est juste fatiguée, elle n'est pas motivée, et le jeu reprend.

Mais la jeune fille sur sa chaise, elle voudrait dire que non, rien ne va chez elle. Qu'elle est complètement folle. Que la vie est de plus en plus insupportable pour elle. Qu'elle aimerait vivre comme les autres. Qu'elle aurait aimé pouvoir écrire ce qu'elle rêve. Qu'elle a envie de mourir. Qu'elle se sent tour à tour concernée et indifférente. Que les notes lui coupent les jambes. Que le collège l'a brisée. Qu'elle voudrait que xxx l'aime. Qu'elle ne peut vraiment faire confiance à personne, même pas à elle. Que sa santé va de mal en pis. Qu'elle n'en peut plus de sa famille. Que la nuit, des cauchemars du lycée la réveillent. Qu'elle voudrait savoir jouer du piano, de la batterie, de la guitare et du violoncelle. Qu'elle aimerait lire tous les livres du CDI. Que les professeurs la tuent avec leurs commentaires. Qu'elle aime la musique à fond qui lui fait tout oublier. Qu'elle est malheureuse. Qu'elle se demande si sa vie vaut la peine d'être vécue.

Et la jeune fille sur sa chaise entend la sonnerie. Alors elle se lève, range ses affaires, met son blouson et son sac. Et elle va en cours.

Et quand on voit la jeune fille sortir de l'étude, on dirait qu'elle porte le poids du monde sur son dos. Mais c'est juste ce qu'elle n'arrive pas à dire qui l'écrase, qu'elle traine, comme des chaînes entravant sa liberté.

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