Le sexime
Introduction :
Je considère que tout le monde peut être sexiste. J'ai même tendance à penser que tout le monde est sexiste et raciste, car notre image du monde est forgée par notre culture, qui est profondément sexiste et raciste.
Une femme comme un homme peuvent être sexistes. Un blanc comme un noir peuvent être racistes.
Et bah c'est pas pour ça que je vais arrêter de me casser le trognon à tenter de faire disparaître tout ça, parce que je pense que globalement, l'humanité se porterait mieux si on n'avait pas ces clivages qui nous pourrissaient la vie.
Nous partirons ici de ce qui existe, et pas des opinions de chacun. L'argument "je ne pense pas comme ça" sera donc irrecevable.
Partie 1 : le féminisme et la théorie du genre**
Plusieurs courants du féminisme reconnaissent l'existence de ce nous avons décidé d'appeler "Genre". On aurait pu appeler ça "Rhinocéros", ça aurait été pareil (enfin, on l'aurait sans doute moins souvent confondu avec "sexe", selon moi, et donc ça aurait été préférable, mais bon...). Je vais donc utiliser le terme Rhinocéros pour l'article, comme ça on ne risque pas de se planter.
Le sexe biologique : Plein de gens pensent qu'il n'existe que deux sexes : femelle et mâle. Adam et Ève, rajouterais-je. Vision très étroite de la réalité des choses. Il existe plein d'autres sexes, mais quand on en parle, les gens considèrent que ce sont des "malformations", des "maladies", des "gens à soigner". Or, comme les Sourds, pourquoi serait-ce ces personnes qui seraient à plaindre ? Malformées ? Anormales ? Elles sont différentes, c'est tout.
Il existe donc plus de deux sexes.
Le Rhinocéros : De la même manière, on considère qu'il n'y en a que deux : féminin et masculin. Le rhinocéros féminin, ça porte plein de choses : être petite, mignonne, frivole, discrète, aimante. Le rhinocéros masculin quant à lui doit être viril, fort, puissant, courageux, s'affirmer.
Je rappelle : il ne faut pas confondre sexe et rhinocéros.
On applique le rhinocéros féminin aux femelles, et celui masculin aux mâles.
Or, il existe une foultitude de rhinocéros : plein de gens sont en même temps aimant et courageux, frivoles et forts... Tous ces rhinocéros ne trouvent pas leur compte avec uniquement le féminin et le masculin. Donc il faut créer d'autres genres, ou trouver un moyen de les représenter tous en une fois, pour ne pas en exclure. Car tant qu'il n'y a que féminin et masculin, il n'y aura deux rayons de jouets à Noël au supermarché, le rayon rose et le rayon bleu. Les gens sur lesquels on met l'étiquette "rhinocéros féminin" doivent aimer le rose, porter des robes, jouer à la poupée. Les gens "rhinocéros masculin" doivent adorer Spiderman, le bleu, les jouets de construction et les voitures. Entre les deux, il n'y a rien. C'est ce moment où un enfant de 5 ans est traité de PD parce qu'il joue à la poupée, en 2016.
Partie 2 : le sexisme de la langue française**
La langue française est normalisée par une assemblée de vieux mecs. Comment pourrions-nous croire qu'ils sont objectifs ? Et bien, si vous le croyez, voici de quoi vous démontrer le contraire.
Wikipedia :
C’est avec l'avènement des conquêtes territoriales que se constitue la nécessité d'unifier un territoire par la langue, afin de pouvoir transmettre les règles administratives. Ivan Illitch le décrit pour la genèse de la grammaire espagnole de Nebrija dans ses travaux sur la disparition de l'usage de la langue vernaculaire. En France c'est Richelieu qui initie ce mouvement d'unification du territoire par la langue, pendant aux conquêtes territoriales sous Louis XIV. La monarchie absolue exige aussi le contrôle des esprit par le contrôle de la langue. Les grammairiens du XVIIe siècle entreprennent donc de réformer la langue pour la codifier et l'Académie française fondée par Richelieu en 1635 devient la gardienne des règles édictées dans le domaine de la langue française. Les statuts de l'Académie sont clairs : « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences (article XXIV). »
Chaque langue possède ses règles d'accord : dans les langues classiques (latin, grec ancien) puis dans nombre de langues-filles (français, espagnol, etc.), quand un même terme doit s'accorder en genre avec plusieurs mots, c'est le genre indifférencié, c'est-à-dire le masculin, qui s'applique. On dira « ils sont grands » en parlant d'enfants parmi lesquels il y a au moins un garçon : ils se met au masculin, de même que grands.
La langue française dans son usage traditionnel ne masquait pas le féminin. Le début de l'utilisation et de la prééminence du masculin est datée historiquement et n'a pas été imposée sans résistance.
À noter toutefois qu'en grec ancien, en latin ainsi que dans le français oral (jusqu'au XVIIIe siècle), l'accord prépondérant semble avoir été l'accord de proximité. Ainsi, le verbe prenait la marque, d'abord en cas, genre et nombre, puis seulement en genre, du substantif le plus proche. Ainsi au XVIIe siècle, on aurait dit « Le chat et la souris sont belles » et non « le chat et la souris sont beaux ». La règle de la primauté du genre masculin sur le féminin se développe au XVIIe siècle dans une société inégalitaire et s'impose au XVIIIe siècle depuis le postulat de l'abbé Bouhours qui affirme dans ses Remarques nouvelles sur la langue française écrites en 1675 que « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte ». Le grammairien Nicolas Beauzée complète dans sa Grammaire générale en 1767 : « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».
Sur la question de l'accord en genre, un grammairien faisant figure d'autorité, Claude Favre de Vaugelas affirme en 1647 dans un ouvrage de grammaire qui devient vite une référence majeure : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le féminin et le masculin se trouvent ensemble. » [...] Vaugelas note-t-il lui même la résistance des femmes de Cour à cette masculinisation et propose-t-il de se soumettre à l'usage : « Néanmoins, puisque toutes les femmes aux lieux où l'on parle bien, disent la et non le, peut-être que l'usage l'emportera sur la raison, et que ce ne sera plus une faute. »
Les gens clamant qu'en français, ce n'est pas sexiste que le masculin l'emporte, se fourrent une poutre dans l'oeil.
Wikipedia :
Comme on l'a vu le genre n'est pas strictement lié au sexe. Il n'en reste pas moins que dans les langues qui possèdent un genre, ce genre recoupe l'opposition de sens mâle-femelle quand il s'agit d'être animés sexués (dont les êtres humains). De là, la représentation de l'opposition masculin-féminin comme renvoyant à la répartition des sexes, une représentation qui est lourde de conséquences sur le plan social (occultation du rôle joué par les femmes sur la scène publique, résistances psychologiques à la candidature à des postes offerts au masculin, etc.).
Partie 3 : Comment la langue nous force à être sexistes**
L'académie française refuse encore aujourd'hui de féminiser certains noms de métiers, donc tous les mots n'ont pas de pendant féminin.
Ainsi, je ne serai jamais Ingénieure, mais bien Ingénieur. Jamais Cheffe d'entreprise, mais Chef d'entreprise.
En quoi est-ce un problème ? Et bien, je pense que cela explique pourquoi certaines personnes pensent encore aujourd'hui que les femmes n'ont rien à faire dans certains corps de métier. Que ce soient les femmes ou les hommes, ou les autres. Sur une promotion de cinquante ingénieur.e.s en devenir, nous sommes six filles. Un dizième.
Quand vous pensez, vous utilisez la langue française. Et en utilisant la langue française, vous savez que quand un groupe de 100 personnes contient 99 femmes et 1 homme, on dit "ils" pour les désigner. D'ailleurs, vous vous dites peut-être même que l'homme parmi les 99 femmes doit être bien chanceux (bizarrement, m'imaginer au milieu de 99 hommes ne me fait pas me dire que j'ai de la chance), marrant non ?
Si nous ne construisons pas notre langue pour permettre à notre pensée d'être universaliste, alors nous ne le serons pas car nous ne pourrons penser que "sexistement", en séparant rhinocéros féminin et masculin, en leur attribuant des rôles et des compétences "innées" qui seraient dues à leur sexe mais en fait ne font que correspondre à ce que culturellement on leur enseigne depuis des années. Si notre langue ne définit pas un concept, nous ne pouvons pas y réfléchir. Or, le fait que notre langue soit implicitement sexiste nous pousse à penser sexiste. Donc pour moi, c'est un problème.
La langue française ne sera pas forcément plus pénible à apprendre, au contraire : si on instaure un rhinocéros neutre, l'apprentissage des genres féminins et masculins ne seraient plus obligatoires. Je pense qu'ici, on peut tous s'accorder sur le fait que les fautes parce qu'on oublie un -e à un mot féminin ou un mot accordé au rhinocéros féminin sont légions, par exemple.